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31/07/2014 Appel à articles : (In)capacités citoyennes

revue Recherches Sociologiques & Anthropologiques

Appel à articles pour la revue Recherches Sociologiques & Anthropologiques
dans le cadre d’un dossier sur les (In)capacités citoyennes à paraitre en 2015, dossier coordonné par Mathieu Berger et Jean De Munck.

Date limite de soumission des propositions (2 pages) : 31 juillet 2014
Date limite de soumission des textes retenus (50.000 signes max.) : 1er décembre 2014

PRESENTATION DU DOSSIER :

1. Enquêter sur les incapacités citoyennes

Dans des pays comme la France ou la Belgique, le bilan de vingt années de politiques publiques plus participatives, plus inclusives, est plutôt mitigé. Les difficultés rencontrées tiendraient en partie à de fortes inégalités dans les capacités des citoyens à se mobiliser dans des espaces publics institutionnalisés et à y faire entendre leur voix. Or, si une littérature existe sur les enjeux d’un travail d’« empowerment » ou de « capacitation » nécessaire au développement de ces expérimentations, le phénomène de l’incapacité d’une partie des citoyens visés et des conséquences de cette incapacité à la fois pour les individus concernés et pour les communautés politiques au sein desquelles ils tentent de s’engager, a suscité en lui-même relativement peu d’attention.

Suite à un « tournant pragmatique » ayant invité le sociologue à « prendre les acteurs au sérieux » et à leur reconnaître des compétences de tous ordres, il est devenu délicat de traiter d’engagements, de comportements, de discours radicalement inaptes à la vie publique ou à la discussion politique. Or quelques cas limites dans le domaine des politiques participatives (tels que ces dispositifs misant sur la participation d’enfants, de personnes à faible niveau d’éducation, d’individus connaissant des problèmes de santé mentale, de personnes sans abri épuisées et fébriles) nous incitent à aborder frontalement la question du « seuil de capacités » en-dessous duquel la démocratie « s’appauvrit », et en même temps à décrire et analyser ces situations dans lesquelles l’incapacité des personnes ou des groupes s’expose publiquement.

Avec ce dossier, nous cherchons à comprendre ou à expliquer ces incapacités à se mêler à des processus de discussion ou d’action collective, et la manière dont elles opèrent aujourd’hui au sein des institutions démocratiques, dans l’espace public urbain ou encore sur les lieux de travail. A travers les différentes contributions, la question de l’incapacité peut être traitée sous différents angles et à différentes échelles, selon que l’on s’intéresse plutôt à une incapacité à …

1) se maintenir et se comporter dans l’espace public. On pourra s’intéresser aux situations et aux modes d’engagement où, en-deçà même de la prise de parole, ce qui fait défaut concerne le « maintien de soi » et la sociabilité élémentaire du citadin, cette aptitude des individus à se côtoyer et se mouvoir sans encombre dans l’espace public urbain, à y être à la fois présents et négligeables.

2) ) apparaître et s’exprimer « en public ». Dans les circonstances d’un espace public politique qui est toujours également « espace d’apparition » (H. Arendt), c’est aussi « la capacité à se montrer en public sans honte » et à livrer un discours ou un argument devant un auditoire (avec la dimension de performance que cela implique) qui peut constituer un problème.

3) entrer en discussion autour de problèmes publics. Sera visée ici la difficulté pour des individus de s’engager publiquement, de se préoccuper de questions publiques et d’entrer en discussion autour de questions publiques (J. Bohman parle de « pauvreté politique », N. Eliasoph d’ « évitement du politique »), ou à le faire de manière vaine et disqualifiante (la « critique en régime d’impuissance » mise en évidence par Cardon et Heurtin, suite aux travaux de Boltanski sur la dénonciation.

4) traduire une souffrance ou un trouble personnel en un problème de portée publique. Ici, l’incapacité renvoie plutôt au « déficit sémiotique » que rencontre celui qui peine à traduire dans un discours ou une critique – dans un « régime de justification » – des souffrances personnelles ou des troubles touchant à des attachements familiers.

5) représenter, porter la parole d’autrui. Ce niveau concerne à la fois les incapacités à représenter autrui, à monter en généralité dans les discours et critiques émis sur l’espace public, et en même temps ce qui se perd et manque de convaincre dans l’entreprise du porte-parole.

6) faire collectif. Dans des dispositifs de politiques publiques cherchant à mobiliser individuellement « le citoyen », « l’habitant » (…), on pointera la difficulté pour les participants de s’exprimer à travers un Nous et de faire collectif dans l’arène publique, une difficulté accentuée par la disparition de certains repères d’appartenance collective (comme la classe sociale) et l’illégitimité de certains autres (hantise républicaine d’un regroupement autour de la communauté religieuse ou ethnique).

7) peser sur la décision, l’action politique. On s’inquiétera enfin de la capacité des arènes publiques formées dans le cadre de grands forums citoyens (le G1000 au niveau national belge, le FSM au niveau mondial) à peser sur l’action politique, ou même, plus modestement, à l’informer.

2. Limites et abus d’une lecture capacitaire de la participation citoyenne

L’entrée choisie, celle des (in)capacités citoyennes, gagnera à être mise en perspective et discutée de manière critique :

- Lire les insuccès de l’action collective et de la démocratie participative au seul prisme d’un déficit de « capacités citoyennes » pourra sembler insuffisant. Dans bien des cas, ce sont davantage les (in)compétences et intentions de ceux qui ont la charge des dispositifs en place qui expliqueront le succès ou l’échec d’une entreprise participative.

- On pourra se demander si l’accent mis sur cette dimension capacitaire dans les études relatives à l’engagement public et à la participation ne se substitue pas exagérément à une autre modalité de l’action : son caractère intentionnel et volontaire. A supposer qu’ils le peuvent, les individus veulent-ils devenir des citoyens actifs, se prêter au jeu de la démocratie, s’exprimer en public, traduire leurs troubles personnels en problèmes publics, faire collectif, etc. ?

- Dans un même ordre d’idée, on interrogera ces exigences capacitaires de la démocratie en ce qu’elles ont de potentiellement oppressant. Dans une conception purement civique de la participation, le sujet politique n’est sollicité que sous l’angle tout à fait spécifique de ses capacités délibératives. D’autres modalités des engagements personnels dans une vie en commun risquent ici d’être ignorées, méprisées ou même activement réprimées. En ce sens, il est des situations où l’exercice de la participation fait violence aux personnes. Certaines d’entre elles (inaptes, incapables, inexistantes) sont simplement exclues de ses procédures.

Envoi des articles

Les propositions d’articles, sous la forme d’un résumé de deux pages, sont à adresser aux deux coordinateurs du dossier pour le 31 juillet 2014 au plus tard : m.berger@uclouvain.be, jean.demunck@uclouvain.be.

Le dossier « (In)capacités citoyennes » paraîtra dans le cadre du deuxième numéro de Recherches Sociologiques & Anthropologiques de l’année 2015.

La revue, qui fait l’objet d’une publication papier, est également disponible gratuitement en ligne.