Identités professionnelles et images médiatiques

Les interventions sur l’existant dans la presse technique et professionnelle et dans la presse spécialisée grand public

PUCA, Paris, 2003.

Cette recherche s’inscrit dans des préoccupations politiques et économiques relevant une faible présence des architectes sur un marché des plus dynamiques, celui des interventions sur les bâtiments existants (qu’il s’agisse de réhabilitation, de restauration, de rénovation ou d’entretien). Comme le marché de la maison individuelle, des bâtiments à usage commercial ou encore des locaux d’entreprises, ce marché porteur semble susceptible d’échapper aux architectes.

Cette situation peut être étudiée par divers facteurs économiques, techniques ou réglementaires. Pour notre part, nous avons choisi de privilégier la dimension symbolique en interrogeant l’identité professionnelle et l’image des architectes. Nous nous sommes intéressés aux représentations de l’activité d’architecte et à leurs effets sur la capacité à investir le marché des interventions sur des bâtiments existants et notamment celui des rénovations de maisons particulières.

Il nous a semblé utile d’identifier et d’analyser un éventuel déficit d’images des architectes s’adressant au public susceptible de constituer une future clientèle sur le marché du bâtiment existant.

Considérant que pour l’architecture comme pour d’autres phénomènes sociaux contemporains, l’image et les représentations professionnelles sont diffusées, relayées et entretenues par des médias spécialisés ou non, c’est sur image médiatisée que nous avons choisi de focaliser notre recherche. Ainsi, pour accéder aux représentations et images des architectes et de leurs pratiques, nous nous sommes tournés vers la presse professionnelle et technique du monde de l’architecture puis vers la presse grand public de la maison et de la décoration.

La méthode suivie comprend trois étapes essentielles. La première a consisté à construire et rassembler un corpus de publications significatives. Cette première étape a été suivie d’une analyse de l’identité visuelle de ces différentes publications, opération qui a permis de les classer en fonction de notre problématique et de ses objectifs. Parallèlement à cela, nous avons entrepris l’analyse de trois types de discours contenus dans ces publications : les éditoriaux et textes généraux sur la thématique des bâtiments existants, les présentations d’interventions ou de maisons relevant du même domaine, et enfin, tous les portraits de professionnels parus dans ces publications.

Le pôle de la presse professionnelle a retenu notre attention en premier, car semblait possible d’y rencontrer l’expression littérale d’un certain nombre de figures professionnelles.

En fait, les revues professionnelles et techniques sélectionnées sont très majoritairement "techniques". Les bâtiments mis en avant par ces publications relèvent le plus souvent de la construction neuve (environ 70% des cas) ou, le cas échéant, du "monument". Si ces publications mettent en avant le bâtiment, elles n’insistent pas trop sur les personnes qui les conçoivent. Alors que les discours de présentation de réalisations sont structurés du point de vue de l’architecte, comme auteur de ce qui est décrit, ils mettent très rarement en scène les architectes. Par ailleurs, les revues d’architecture pure sont beaucoup moins portées sur les portraits que ne le sont d’autres publications professionnelles centrées sur des domaines aussi différentes que le BTP ou le design. A l’inverse des portraits de designers et à quelques exceptions près, les portraits d’architectes dans les revues d’architecture sont plus souvent historiques, doctrinaires et finalement assez peu optimistes.

De l’autre côté du miroir, la presse qui informe le grand public sur l’actualité de l’architecture, de la maison, de la décoration et des travaux, renvoie une image inversée du monde de l’architecture. Avec des modalités diverses qui tiennent à la spécialisation de certains de ces titres ou au niveau social et culturel de leurs destinataires (classes moyennes ou luxe dans notre typologie), ceux-ci entretiennent un culte singulier de la maison plutôt que du bâtiment architecturé ou historicisé. De ce point de vue, la maison "existe" indépendamment de toute intervention d’un architecte (environ 70% de maison ancienne). Cette maison est individuelle, c’est-à-dire qu’elle abrite, représente et incarne un individu, son conjoint et sa famille. Enfin, cette maison est assez souvent rurale (avec peut être un effet d’échantillon) et toujours inscrite dans un terreau régional caractéristique même si l’environnement urbain incite plutôt à la discrétion et au repli sur l’intérieur du logement.

Objet d’un culte patrimonial renouvelé, cette maison ne s’exprime pas toute seule, comme le font les bâtiments dans les revues techniques, mais entretient une relation singulière avec son "propriétaire" qui est un être vivant, présent et créatif. Ces publications mettent l’accent sur le propriétaire comme principal acteur d’un processus qui va de la découverte (véritable) à la transformation faite de respect et de liberté de cette maison. Centrée sur le propriétaire, cette perspective privilégie l’invention au sens archéologique du terme, ou les grandes décisions à la conception et aux travaux [1].

Nous avons vu que parmi les professionnels identifiés, les architectes constituaient le groupe le plus important suivi des décorateurs et des architectes d’intérieurs. Ces deux professions semblent donc avoir une image médiatique bien établie mais non dominante au sein de ces publications. Il est par contre plus difficile de définir les compétences respectives de ces deux professions concurrentes. Il semble que les architectes y soit dotés d’une compétence spatiale qui leur permet d’accroître les surfaces habitables et plus souvent de transmuter la ruine en château ou la grange en maison. Ceci alors que les décorateurs et architectes d’intérieurs interviennent plutôt à l’intérieur du domicile en y développant une dialectique du respect patrimonial et de la liberté des sujets créatifs.

En conclusion de cette recherche abordant la difficulté pour les architectes d’accéder au marché des interventions sur l’existant sous l’angle des représentations sociales de l’identité professionnelle médiatisée auprès de différents publics, nous avons pris le risque d’indiquer quelques pistes permettant une amélioration de l’image des architectes auprès d’un public de profanes.

En effet, afin de favoriser les échanges entre l’architecture officielle des commandes publiques ou privées de grande ampleur, et l’architecture ordinaire de la petite commande privée dans le domaine de l’existant et au-delà, il semble nécessaire de remettre en question l’évidence culturelle de l’architecture ainsi que la discrétion professionnelle des architectes cachés derrière leurs œuvres. L’architecture pourrait donc, non seulement poursuivre une politique culturelle de diffusion auprès d’un publique élargi, mais s’inspirer des postures professionnelles des décorateurs, des architectes d’intérieur et des designers. Pour y parvenir, il semble nécessaire que les architectes soient mieux informés et tiennent plus souvent compte des univers de représentation des propriétaires de maisons individuelles, démarche à laquelle notre recherche espère avoir contribué.

Notes

[1Cela à l’exception de publications de travaux et bricolage ou de décoration destinées aux classes moyennes plus susceptibles de mettre l’accent sur les travaux et le plaisir de l’apprentissage technique qui les accompagnent.